Le 24 mars 2022, plusieurs représentants de la DyTAES et leurs partenaires ont animé une session sur le thème « Agroécologie en action pour des eaux productives ».
L’organisateur de la session, Didier Orange, éco-hydrologue à l’IRD, a introduit la discussion en posant les enjeux de l’accès des agriculteurs sénégalais à l’eau productive :
Au Sénégal, les Exploitations Agricoles Familiales (EAF) couvrent plus de 60 % des besoins alimentaires et 60% des agriculteurs sont tributaires de la pluie. Cependant, Cependant, l’agriculture dépend principalement de la pluviométrie (60 % de la production tributaire de la production pluviométrique) avec une forte variabilité et une durée très courte, moins de quatre (4) mois dans la majorité du pays. Les EAF sont en effet confrontées à plusieurs contraintes liées aux problèmes d’accès à l’eau en quantité et en qualité suffisantes, le déficit pluviométrique, la salinisation des nappes souterraines dans certaines zones, les problèmes d’aménagements, d’application de la charte du domaine irrigué et de la gouvernance par une gestion concertée, équitable et transparente de la ressource en eau de surface.
Hamet Diallo, chargé de projet au GRET, a présenté leur expérience sur des Plateformes locales de l’eau (PLE) comme « acteurs passerelles » pour une transition agro-écologique qui sécurise durablement les usages de l’eau »
En 2017, l’ONG Gret a démarré une recherche-action sur l’opérationnalisation d’une GIRE locale dans la zone des Niayes, en étroite collaboration avec la Direction de la Gestion et de la Planification des Ressources en Eau (DGPRE) du Ministère de l’Eau et de l’Assainissement.
La zone ciblée, connue pour sa forte production horticole où existent également d’importantes industries minières. Les ressources en eau souterraines, auparavant abondantes et de qualité sont aujourd’hui polluées et surexploitées (volume de prélèvement supérieur à la recharge).
A l’échelle de cinq communes, le projet a contribué à la structuration de Plateformes Locales de l’Eau (PLE), arènes de gouvernance communale regroupant usagers de l’eau, techniciens et autorités locales dont l’objectif est de contribuer à gérer de manière durable, équitable et efficace les ressources en eau de leur territoire. Conjointement à la construction de ses modalités de gouvernance, chaque PLE a identifié les enjeux liés aux ressources en eau et conçu en fonction, un Plan Local de GIRE (PLGIRE), instrument de planification territoriale détaillant les actions à conduire en vue d’améliorer la gestion des ressources en eau et des usages associés.
La question des systèmes agraires (superficie, spéculation, outils, pratiques, besoins) a pris une place prépondérante dans les mises en débats. Certains agriculteurs ont été initiés aux principes agro-écologiques et se sont engagés dans de nouvelles pratiques en utilisant des engrais naturels et en mobilisant des techniques de gestion économe en eau. L’installation de cordons pierreux et des campagnes de reboisement ont permis de limiter le ruissellement, favoriser l’infiltration des eaux de pluie, restaurer les sols et les écosystèmes ainsi que séquestrer du carbone.
Conjuguées à ces réponses techniques, des mesures politiques ont également été discutées. Dans un contexte où les rapports de force socio-économiques prévalent, les PLE ont engagé un travail sur une méthode de partage des ressources en eau, soulevant les questions d’équité et de durabilité. En raisonnant à partir de la disponibilité des ressources – et non plus à partir des besoins –, les acteurs des PLE ont pris conscience du caractère fini des ressources en eau mais aussi de l’enjeu politique que représente sa répartition.
En somme, les allers-retours entre GIRE et agroécologie se poursuivent, aussi bien sur le domaine de la réflexion que de l’action. Les PLE, par leur ancrage territorial et leur vision holistique, deviennent donc des « acteurs passerelles », susceptibles de promouvoir une politique agricole pertinente au regard des enjeux liés aux ressources en eau.
Katia Roesch, chargée de programme Agroécologie et Climat à AVSF a présenté l’initiative COSTEA qui interroge la place de l’agroécologie dans les périmètres irrigués et ses conditions de développement.
Le COSTEA est une communauté large d’experts internationaux de l’eau agricole, comprise au sens large et dans toutes ses composantes, en essayant d’aborder la grande diversité des systèmes irrigués. Le COSTEA vise à produire des connaissances, analyser des retours d’expériences, confronter des points de vue, pour alimenter les réflexions des acteurs des politiques et des programmes irrigation dans les pays du Sud. Au Sénégal, une étude COSTEA est en cours dans la Vallée du Fleuve Sénégal et les Niayes. Pilotée par AVSF, elle mobilise des chercheurs du CIRAD, de l’ISRA et des partenaires locaux comme Enda Pronat.
Au Sénégal, la majorité de pratiques dans les périmètres se situent dans la parcelle, elles sont mises en place de manière isolées, sans combinaison de pratiques. Les innovations sont rares et souvent importées par des centres de recherche. Les petits systèmes irrigués tendent plus vers des systèmes agroécologiques mais font face à des enjeux de réduction de l’eau. Les grands périmètres sont confrontés à des verrouillages infrastructurels et socio-techniques pour le développement de l’agréocologie. Dans ces grands périmètres, on note aussi une très forte spécialisation et intensification qui ne favorisent pas l’intégration agriculture-élevage. Il y a donc nécessité de repenser la conception et la gestion de ces grands périmètres et de faire évoluer les politiques publiques, notamment pour développer l’accès des petits producteurs au marché.
Amandine Adamczewski-Hertzog (CIRAD, Santé&Territoires, France) a présenté le rôle que peut jouer la recherche dans l’accompagnement de la Transition Agroécologique à travers la présentation d’un projet en cours au Sénégal et dans d’autres pays.
Le projet Santés & Territoires (S&T) a pour objectif principal d’accompagner la transition agroécologique dans un cadre One Health. Il repose sur l’hypothèse que l’état de santé d’un territoire donné, définit selon des critères identifiés par les acteurs locaux, peut être mobilisé en tant que “Commun” pour concenvoir les actions à mener dans le cadre de la transition agroécologique. S&T propose trois piliers pour l’accompagnement. Le premier consiste à expérimenter et évaluer sur le terrain, au niveau de living-labs, des activités répondant aux enjeux sanitaires et agroécologiques identifiés localement. Le second concerne la gestion des connaissances, c’est-à-dire la mise en place d’outils pour la capitalisation et le partage des savoirs et savoirs-faire mobilisés dans les living-labs. Le troisième pilier supporte une communauté de pratique rassemblant les acteurs du projet et d’autres projets travaillant dans le cadre de la transition agroécologique et du One Health. Il s’agît de créer une communauté apprenante et génératrice d’innovations. S&T est dans sa phase de lancement dans quatre pays: au Sénégal, au Bénin, au Laos et au Cambodge.
Jean Michel Waly Séne, chargé du volet Agroécologie à Enda Pronat, secrétariat DyTAES, a conclu avec un plaidoyer à l’endroit de l’Etat du Sénégal :
Le nexus agroécologie/eaux productives place au centre la notion d’efficience dans l’usage de cette ressource et aussi celle d’accès pour les exploitations familiales. Et sur ce dernier, où l’on constate de plus en plus de difficultés sur l’accès à l’eau productive, qui s’accentue d’avantage avec une concurrence accrue pour la ressource hydrique : de plus en plus de paysans en ont un accès restreint et se font spolier de leurs droits historiques à l’eau.
Face à cette situation, doivent être prioritaire la définition d’une stratégie de mobilisation des ressources en eau pour l’agriculture familiale et l’adoption de nouvelles règles de gestion de l’eau pour soutenir des EAF productives ; en proposant les conditions techniques, organisationnelles et politiques à mettre en œuvre qui sécurisent un accès durable à l’eau permettant le développement d’une meilleure productivité des EAF dans une perspective de transition agroécologique.
Pour répondre aux enjeux de sécurité alimentaire, d’équité sociale et de durabilité environnementale, la Dynamique pour une Transition Agroécologique au Sénégal (DyTAES) appelle à une concertation active des acteurs des territoires que sont des organisations de producteurs, des ONG, des institutions de recherche et de formation et des collectivités territoriales, au tour de l’agroécologie, pour co-concevoir des solutions durables pour la territorialisation de l’agroécologie à travers la sensibilisation, la formation et la recherche-action.
La DyTAES recommande aux décideurs :
- d’investir dans l’eau productive pour aider les exploitations familiales à y accéder pleinement et de sécuriser durablement leurs droits d’usage ;
- d’adopter une approche par la ressource – plutôt que par les besoins pour permettre à tous de prendre conscience de la limitation de la ressource mais aussi de l’enjeu politique que représente sa répartition. Cela passe par l’adoption d’une méthodologie de partage de la ressource entre usagés pour sortir d’une situation de fait dans laquelle les rapports de force socio-économiques priment ;
- de promouvoir des technologies et pratiques d’irrigation et de gestion de l’eau économes pour une gestion durable de la ressource.