Le 23 mars 2022, la Dynamique pour une Transition Agroécologique au Sénégal (DyTAES) a été invitée, aux côtés des organisations paysannes CNCR et U3P, à contribuer à une session ordinaire du Conseil Economique, Social et Environnemental (CESE) portant sur le thème de « Autosuffisance et sécurité alimentaires ». Ce choix étant essentiellement motivé par l’impérieuse nécessité pour notre pays de réduire sa dépendance vis-à-vis de l’extérieur. La session a mobilisé 41 participant.e.s, essentiellement des conseiller.e.s du CESE.
Laure Diallo et Jean Michel Sene, au nom du Secrétariat de la DyTAES, ont démarré leur présentation avec les multiples défis auxquels est confrontée l’agriculture sénégalaise, notamment depuis les politiques d’ajustements structurels des années 80 qui ont conduit à des appuis financiers, économiques et techniques peu adaptés. Le système de formation professionnelle agricole n’a pas pris suffisamment en compte les réalités et savoirs des producteurs. Les subventions agricoles n’ont pas été orientées vers les exploitations familiales, les marchés locaux n’ont pas été structurés, les moyens de conditionnement, de transformation locale et de protection des marchés nationaux ont été insuffisants.
Avec l’alternance, les programmes agricoles comme le REVA et la GOANA – commencé en 2006 – ont privilégié l’agriculture d’entreprise au détriment de l’agriculture familiale. La fragilisation des exploitations familiales est accentuée par des co-habitations difficiles avec les exploitations minières et agroindustrielles qui créent une forte compétition pour l’accès aux ressources productives, en particulier au foncier et à l’eau (Voir étude comparative AI/EXFAM réalisée avec CIRAD et ISRA BAME, 2016). Certaines agroindustries aussi inondent le marché local de leurs écarts de tri ce qui porte préjudice aux exploitations familiales. On peut citer l’exemple de Sinégindia avec la pomme de terre.
À cela s’ajoute un état de vulnérabilité chronique en raison de la récurrence des chocs climatiques. Sans oublier, la surexploitation des ressources halieutiques qui préoccupe énormément les populations.
Après cette première partie sur le triple défi de la croissance démographique, du changement climatique et de la dégradation des ressources productives (eau, sols, forêts), les représentants de la DyTAES ont expliqué que le modèle actuel d’intensification agricole n’apporte pas de réponses durables. Les systèmes de production conventionnels paraissent performants à court terme, mais ils sont en réalité bâtis sur des fondations très fragiles : i) une dépendance élevée aux intrants exogènes, ii) une faible résilience face aux aléas climatiques et aux bio-agresseurs, iii) une instabilité des rendements.
Il est donc nécessaire de changer de paradigme pour repenser en profondeur nos manières de produire, échanger et consommer les aliments car la consommation du Sénégal dépend trop des importations (riz, blé,…)
Or, la DyTAES est convaincue que l’agroécologie est la meilleure voie pour changer de système. Cette conviction est confirmé par plusieurs études internationales, parmi lesquelles le rapport du IAASTD, 2020 ou encore celui du GIEC de 2022 qui affirme de nouveau (avec une “confiance élevée”) que les principes et les pratiques agroécologiques favorisent la sécurité alimentaire, la nutrition, la santé et le bien-être, les moyens de subsistance et la biodiversité, la durabilité et les services écosystémiques.
En Afrique subsaharienne, de nombreuses études ont montré que l’AE peut contribuer à l’emploi, à la sécurité alimentaire et à la restauration des ressources et des services écosystémiques (Oakland Institute, 2020).
L’agroécologie n’est pas un retour vers l’agriculture traditionnelle : elle s’inspire des connaissances et des pratiques endogènes tout en mobilisant les apports des sciences pour optimiser les interactions entre végétaux, animaux, humains et environnement au sein des écosystèmes.
L’agroécologie propose de revitaliser l’agriculture en se basant sur les ressources, les contraintes et les valeurs spécifiques de chaque terroir. L’AE est donc une voie prometteuse d’innovation.
Elle redonne du sens et de la cohérence aux systèmes de production en puisant dans des connaissances et des pratiques endogènes, tout en mobilisant activement les apports des sciences.
Le Président de la République Macky Sall a placé la TAE parmi les cinq initiatives majeures du Plan d’Action Prioritaire de la deuxième phase du Plan Sénégal Emergent (2019-2024).
A travers le PSE-Vert, il s’est engagé pour un Sénégal plus vert, garant du bien-être et de la sécurité des générations présentes et futures. Mais les efforts sont encore timides…
Pour réussir, la Transition Agroécologique (TAE) devra nécessairement s’appuyer sur des changements profonds dans l’organisation des filières et des territoires ainsi que dans l’ensemble du système d’appui à l’agriculture (recherche, formation, conseil, subvention, financement, etc.).
Le passage à l’échelle nécessite donc une intervention de l’Etat.
Ainsi, la DyTAES appelle à la construction d’une politique intégrée et holistique, reposant sur une intervention coordonnée dans plusieurs secteurs et capable de prendre en compte le caractère multidimensionnel et transversal de la Transition Agroécologique (TAE).
Laure et Jean Michel ont terminé en rappelant en wolof et en français les 12 recommandations principales qui figurent dans le document de contribution politique pour une TAE au Sénégal.
La présentation a été appréciée par les Honorables conseiller.e.s qui ont pris la parole après l’exposé. En particulier par Adja Tiné Ndoye du Réseau National des Femmes Rurales du Sénégal qui est revenu sur la nécessité d’accompagner les exploitations familiales, en particulier les femmes sur l’accès à la terre. Et sur le rôle important joué par la DyTAES et ses membres dans la sensibilisation sur l’agroécologie.
Mme Aminata Fall Mbacké s’est également dite très satisfaite de l’exposé et a mis l’accent sur les risques des pesticides pour la santé et sur la nécessité de consommer ce que nous produisons.
M. Mor Ndiaye a souligné les problèmes de qualité des semences distribuées par l’Etat et proposé qu’il octroie les subventions aux agriculteurs afin qu’ils produisent eux-même leurs semences.
M. Najirou Sall, Président du CNCR, a relevé la nécessité d’avoir une politique alimentaire pour orienter notre consommation vers la production locale.
Pour conclure la rencontre, Jean Michel Sene a rappelé l’importance de replacer les semences au cœur des politiques alimentaires en commençant par organiser une évaluation de la sécurité semencière au Sénégal. Il a également plaidé pour la mise en place d’un dispositif de suivi-évaluation des subventions des intrants agricoles qui intègre les producteurs/éleveurs à la base et autres acteurs du développement pour se rassurer qu’elles bénéficient réellement aux exploitations familiales qui sont les principaux garants de notre souveraineté alimentaire.